Un arbre au milieu de nulle part dont les branches tordues se tendent vers le ciel comme un appel. Une figure répétée jusqu’à l’obsession dans les dessins de Silvano Landi, un écrivain qui a soudainement perdu l’inspiration. Et qui un jour s’est effondré sur une plage. Depuis, totalement mutique, il est interné à l’hôpital psychiatrique, ne communiquant qu’à travers son dessin répété à l’infini. Quelque temps auparavant, il avait trouvé les nombreuses lettres que son grand-père envoyait à son épouse depuis le Front. Dans chacune d’elles, il lui témoignait son amour et surtout l’envie de la revoir, elle et leur enfant qui venait de naître. De l’autre coté du temps, pendant la grande guerre, alors que la mitraillette vient d’être inventée par les Allemands, deux soldats français sont envoyés en reconnaissance vers les lignes ennemies …
« Vois comme ton ombre s’allonge » est le roman graphique d’un récit fragmentaire et halluciné dans lequel on alterne le passé et le présent, les aquarelles très sombres et le crayonné en noir et blanc. On est tour à tour dans l’esprit fracturé de Silvano Landi et avec les deux soldats dont l’un se nomme Landi. C’est le récit lugubre d’une dépression et d’une chute dans le gouffre. L’homme de vingt ans se levant en pleine nuit devine déjà sur lui les ombres de sa mort prochaine. L’ombre se cache aussi dans le soldat qui est prêt à rester en vie par n’importe quel moyen. Elle se cache dans les non-dits, dans la culpabilité que l’on porte de générations en générations. On s’attend au dénouement final mais il est si terrible qu’il nous laisse totalement sonnés.
Les dessins sont magnifiques avec ces ciels d’orages, ces nuages bas évoquant le spleen. Et aussi ces crayonnés, l’expression crue du dénuement et de la vulnérabilité. C’est l’histoire d’un homme qui porte un passé trop lourd sur ses épaules, qui glisse, qu’on abandonne et qui perd pied.
« Vois comme ton ombre s’allonge » est une claque littéraire, lugubre et magnifique.
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